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Un programme de parrainage soutient les sages-femmes en milieu rural

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Une initiative du Rotary vise à réduire le taux de mortalité maternelle en Papouasie-Nouvelle-Guinée

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Gwyneth Weuta est la seule sage-femme à desservir une population de 12 000 habitants dans une région rurale de Papouasie-Nouvelle-Guinée. L'isolement, aussi beau soit-il, est l'un des nombreux défis auxquels est confrontée cette sage-femme de 37 ans : la clinique où elle travaillait auparavant, un bâtiment d’un étage niché sur une île étroite du Pacifique Sud, n'avait pas l’eau courante jusqu'à ce qu'elle obtienne une subvention il y a quelques années. Le nouveau centre de santé où elle travaille aujourd’hui est plus moderne, mais il n’existe aucun moyen de transport fiable pour s'y rendre. À cela s'ajoutent les idées reçues et les barrières culturelles qui poussent de nombreuses femmes à refuser d'accoucher dans un établissement de soins. 

Elle se souvient d’une enseignante d'un village voisin qu’elle avait accompagnée pendant neuf mois, ce qui est rare vu que dans les zones rurales du pays, de nombreuses femmes enceintes ne consultent un professionnel de santé qu'au moment de l'accouchement, voire pas du tout. 

Le bébé était en retard, ce qui augmentait le risque de complications. Mme Weuta a donc insisté pour que cette femme accouche à l'hôpital local, mais elle est rapidement rentrée chez elle, soit renvoyée par les médecins, soit de son propre chef ; elle n'en est pas sûre. Plus de trois semaines après la date prévue pour l'accouchement et sans moyen de transport, la mère a attendu et a commencé le travail. Le lendemain, plusieurs heures se sont écoulées avant qu’un véhicule ne puisse être trouvé pour l’emmener à l'hôpital provincial mieux équipé, situé à cinq heures de route. Il était trop tard. À son arrivée, le cœur du bébé s'était arrêté.

Le père du bébé, angoissé, était furieux et a blâmé la sage-femme. « Il m'a traitée de tous les noms », explique Mme Weuta.

Gwyneth Weuta est la seule sage-femme dans une région reculée de Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Les retards dans la recherche et l’accès aux soins menacent la vie des femmes en Papouasie-Nouvelle-Guinée, un pays qui affiche l'un des taux de mortalité maternelle et néonatale parmi les plus élevés au monde. Par rapport à l’Australie voisine, une femme a en effet 95 fois plus de risques de mourir en couches, et les bébés ont 10 fois plus de risques de mourir pendant l’accouchement ou peu après la naissance.

La plupart de ces décès pourraient cependant être évités, et les sages-femmes jouent un rôle clé à cet égard. Selon l'Organisation mondiale de la Santé, l'accès universel aux soins prodigués par les sages-femmes dans le monde entier permettrait d'éviter plus de 60 % des décès maternels et néonatals ainsi que des bébés mort-nés, soit 4,3 millions de vies sauvées chaque année d'ici 2035. Et leur travail vital en milieu rural va au-delà de l'accouchement : comme Mme Weuta, elles sont souvent les seules professionnelles de santé qualifiées à des kilomètres à la ronde, aidées par des assistants communautaires et bénéficiant parfois des conseils de médecins par téléphone.

En Papouasie-Nouvelle-Guinée, plus de 80 % de la population vit dans des zones rurales et seulement la moitié des accouchements se déroulent en présence d'un personnel qualifié. Avec seulement 1 600 sages-femmes dans le pays, l’association des sages-femmes du pays estime qu'il en faudrait cinq fois plus pour répondre aux besoins d'une population en pleine croissance. Mary Sitaing ne mâche pas ses mots lorsqu'elle évoque les difficultés liées à l'accouchement dans son pays. Lorsqu'elle est devenue présidente de l’association en 2022, elle a lancé un appel public pour demander davantage de sages-femmes, un meilleur soutien à ces dernières et une plus grande sensibilisation aux soins de santé reproductive.

Mary Sitaing est devenue présidente de l’association des sages-femmes de Papouasie-Nouvelle-Guinée en 2022.

La solution ne réside cependant pas uniquement dans l'augmentation du nombre de sages-femmes. Le pays a besoin qu’elles soient mieux formées, mieux soutenues et mieux autonomisées. « Si elles ont leur mot à dire, elles peuvent demander du matériel, elles peuvent demander à être formées, explique Judith Brown, sage-femme à la retraite et membre du Rotary Club de Morialta (Australie). Elles peuvent demander les ressources humaines dont elles auront besoin pour fournir à leurs patientes des soins sûrs et fondés sur des données probantes. »

Et c'est là que le Rotary entre en jeu.

Renforcer la confiance nécessaire pour diriger

Nous sommes en avril, la saison des pluies en Papouasie-Nouvelle-Guinée, et des sages-femmes venues de tout le pays se réunissent pour un atelier de leadership de cinq jours dans la capitale, Port Moresby. Elles sont jumelées avec des sages-femmes australiennes, donnant ainsi le coup d'envoi d'un programme d'un an soutenu par les membres du Rotary dans les deux pays. « Non seulement leurs voix s'unissent, mais aussi leur énergie et leur passion, explique Mme Brown, responsable du programme de parrainage en leadership pour les sages-femmes de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Elles s'entraident et se soutiennent d'une manière qui serait impossible si elles se trouvaient dans un autre pays et ne s'étaient jamais rencontrées. » 

Mme Brown, qui a consacré sa carrière à améliorer les normes de soins maternels, de la Thaïlande au Maroc en passant par l'Afghanistan, a conçu cet atelier afin de créer des liens entre les sages-femmes. Chaque matin, l'atelier commence par une chanson, entonnée par un groupe provenant d'une région différente de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Lorsque les jumelages sont annoncés à la fin de la première journée, la salle éclate en acclamations tandis que les participantes se prennent dans les bras avec enthousiasme.

Participer à l'atelier ne coûte rien aux sages-femmes, si ce n'est une semaine de leur temps. Les frais de transport aérien, de restauration et d’hébergement sont pris en charge par le Rotary, grâce à des subventions de district et deux subventions mondiales de la Fondation Rotary. Pour les participantes comme Mme Weuta, qui n'est jamais vraiment loin de son travail (même ici elle appelle des agents de santé communautaires pour demander des nouvelles des femmes enceintes dont elle s'occupe), ces journées riches en apprentissage et en rencontres sont un répit bienvenu. « Je me suis sentie libérée d'un poids », dit-elle.

Cette initiative est née d'un programme de jumelage entre les associations de sages-femmes d’Australie et de Papouasie-Nouvelle-Guinée, lancé en 2011. En 2019, des membres du Rotary des deux pays se sont associés pour le développer afin de mieux soutenir les sages-femmes à titre individuel. Les Rotariens de Port Moresby apportent ainsi leur aide en matière de logistique et de financement, en versant aux participantes de Papouasie-Nouvelle-Guinée une allocation destinée à couvrir les frais de déplacement non essentiels, tandis que ceux de Morialta gèrent l'ensemble du projet et son évaluation, et organisent les déplacements.   

Les organisateurs avaient initialement prévu seulement trois promotions. Mais Judith explique que le programme a connu un tel succès qu'à la fin du troisième atelier, les sages-femmes ont supplié les organisateurs de le poursuivre. Celui d'avril est le cinquième et le programme devrait se poursuivre.

Bien que certaines parties du programme soient riches en informations, l’objectif principal est de créer des liens et d'encourager un changement de perspective. « Nous n'essayons pas d'enseigner des compétences cliniques, explique Helen Hall, de l'Australian College of Midwives, animatrice du projet. D'autres groupes l’ont fait, et c'est important. Le programme de parrainage vise à renforcer la confiance en soi. »

Au cours de l'atelier, les sages-femmes de Papouasie-Nouvelle-Guinée mettent en place un projet qu'elles mèneront à bien avec l'aide de leurs partenaires au cours de l'année à venir. « On voit qu'elles commencent à prendre conscience de leurs capacités, explique Mme Hall, qui, impressionnée par ses partenaires du Rotary, a décidé de rejoindre un club à l'approche de la retraite. Elles ont désormais à leurs côtés une championne qui leur dit : ‘Nous croyons en vous, réalisons ensemble un petit projet’. »

Par exemple, une diplômée du programme a créé une affiche avec une liste de contrôle pour chaque étape prénatale et postnatale. Elle sert de guide aux agents de santé communautaires qui ont moins de formation qu'une sage-femme ou une infirmière. « Je suis convaincue que cette simple liste de contrôle permettra de sauver des vies », affirme Mme Hall.

Pour chaque projet, le Rotary Club de Morialta réserve 500 dollars australiens (environ 280 euros) pour aider les sages-femmes à accomplir leur travail, mais celle qui a créé les affiches a trouvé une autre organisation pour couvrir les frais d'impression. Elle a donc utilisé les fonds du Rotary pour acheter des gilets de sauvetage. Dans les régions reculées du pays, les sages-femmes transportent en effet souvent les femmes en travail en canoë. Grâce à ces gilets, elles peuvent désormais le faire en toute sécurité.

  1. Simon James Kopalua (à gauche) est l'un des cinq hommes sage-femme participant au programme de parrainage de cette année.

  2. Helen Hall, sage-femme et animatrice du programme, a rejoint le Rotary Club de Rosebud-Rye (Australie) après avoir travaillé avec des Rotariens sur cette initiative. « Les personnes que j'ai rencontrées sont celles avec lesquelles je souhaite passer du temps, dit-elle. Elles déterminent ce qu'elles peuvent faire au niveau local, national et international, et comment elles peuvent mettre leurs compétences à profit. »

  3. Appartenant à un groupe formé dans le cadre du programme, (de gauche à droite) Noah Noah, Xaviera McGuffin et Gwyneth Weuta se soutiennent mutuellement.

  4. Afzal Mahmood, membre du Rotary Club de Morialta, est expert en santé publique et organisateur d'ateliers.

  5. Mme Weuta (deuxième à partir de la gauche) et ses collègues sages-femmes de Papouasie-Nouvelle-Guinée entraînent le groupe dans une chanson.

« En tant que sage-femme, vous pouvez changer les choses. »

Mme Weuta et son amie australienne, Xaviera McGuffin, sont assises à l'arrière d'un bus, riant et hochant la tête au rythme de la musique provenant d’un téléphone portable. « Nous partons à la campagne ! » s'exclame Mme Weuta en riant, alors que les rues animées de Port Moresby laissent place à des collines bucoliques qui défilent derrière les vitres.  

Le groupe est en route vers l'université adventiste du Pacifique, où de nombreux participants, dont Mme Weuta, ont suivi leur formation de sage-femme. Après une journée de visite des installations médicales, le groupe rencontrera des étudiants en obstétrique et leur remettra le matériel pédagogique donné par les sages-femmes australiennes.  

L’éloignement et le manque de ressources ne sont pas les seules difficultés auxquelles sont confrontées les sages-femmes. Culturellement, l'accouchement est une « affaire de famille », explique Mme Sitaing, membre de l'association des sages-femmes, de sorte que de nombreuses femmes en travail restent chez elles sans assistance qualifiée. Pour tenter de changer ces pratiques, les sages-femmes travaillent avec toute la famille et toute la communauté. Elles encouragent les femmes à se rendre à la clinique dès le début de leur grossesse afin de garantir des résultats plus sûrs et accueillent favorablement la participation du père tout au long de la grossesse et de l'accouchement.

Une implication accrue des pères pourrait également contribuer à réduire le taux de violence conjugale en Papouasie-Nouvelle-Guinée, l'un des plus élevés au monde. Selon une enquête nationale, près des deux tiers des femmes mariées dans le pays ont été victimes de violences physiques, sexuelles ou psychologiques de la part de leur conjoint. D'après certaines anecdotes, les sages-femmes ont constaté que le fait d'impliquer les hommes dans la grossesse et l'accouchement contribuait à prévenir la violence, en permettant aux pères de se sentir plus proches de leurs enfants et de découvrir la force de leur conjoint dans la salle d'accouchement.

La Papouasie-Nouvelle-Guinée compte aussi une plus grande proportion d’hommes sages-femmes que l'Australie, explique Helen Hall. Et ils travaillent souvent dans les régions les plus dangereuses. La promotion de cette année en comptait cinq, dont Simon James Kopalua.  

M. Kopalua s'exprime avec le débit mesuré d'un professeur d'université, bien qu'il n'ait que 29 ans. Il est sage-femme dans la région reculée des Highlands après avoir été infirmier suite à plusieurs décès maternels et néonatals dans le cadre de son travail. Sa propre mère et sa sœur ont failli mourir en couches.

Son téléphone portable contient des photos d'ambulances équipées de pneus tout-terrain enlisées dans les routes montagneuses et accidentées de la forêt tropicale. Souriant fièrement, il parle de son travail, qui consiste à donner des conseils sur le planning familial, à établir de bonnes relations avec la communauté et à effectuer des interventions vitales à l'aide de la seule lampe torche de son téléphone portable. « En tant que sages-femmes, nous devons nous rappeler que nous avons de multiples compétences, déclare-t-il. La plupart du temps, nous nous concentrons sur les gouvernements et les populations pour apporter un changement. Mais en tant que sage-femme, vous pouvez aussi changer les choses. »

M. Kopalua évoque les idées reçues courantes concernant le recours aux établissements de soins : « Les femmes pensent qu'il n'est pas sûr d'accoucher dans un établissement de soins, car le bébé pourrait mourir, la femme pourrait mourir, ou encore elles pourraient être victimes desorcellerie pendant la nuit. L'attitude et le comportement du personnel peuvent également constituer des obstacles. » Il poursuit : « Dans ma culture et dans la plupart des autres cultures de Papouasie-Nouvelle-Guinée, les hommes ne sont pas censés toucher le sang d'une femme, car les gens pensent que cela réduirait leur force, les affaiblirait ou leur transmettrait des maladies. C'est très difficile, mais je lutte contre ces préjugés et croyances parce que je veux changer les choses et aider les gens à changer leur façon de penser. »

Tisser un réseau de soutien

Le dernier jour de l'atelier est une succession d'activités. Les binômes passent du temps ensemble à discuter de leurs projets. Ils marchent sur des sentiers à l’ombre des palmiers et se penchent sur leurs ordinateurs pour préparer leurs présentations. Des tables rondes improvisées sont organisées pour discuter de leurs espoirs pour l'avenir, et au dîner, ils discutent des difficultés auxquelles ils ont été confrontés dans leur travail au sein de leurs cliniques.

Julie Kep (à gauche), animatrice du programme, travaille comme sage-femme en Papouasie-Nouvelle-Guinée depuis plus de 40 ans. Ici, elle s'entretient avec Sania Ronnie et son enfant.

Pour les sages-femmes indépendantes, comme Mme Weuta, le programme leur a apporté bien plus qu'un simple parrain. Il a permis de tisser un réseau de soutien. Au cours des cinq premières promotions, le programme a ainsi réuni 52 sages-femmes de Papouasie-Nouvelle-Guinée et 32 d'Australie. Les participantes représentent d’ailleurs les 22 provinces de Papouasie-Nouvelle-Guinée, que certaines n'avaient jamais quitté auparavant, mais elles ont désormais eu l'occasion de visiter des cliniques, des hôpitaux et des universités. Elles ont rencontré d'autres diplômées du programme de parrainage qui occupent des postes de direction dans des maternités et des programmes éducatifs.  

Mme Weuta prévoit de se concentrer sur la prévention des grossesses chez les adolescentes dans la région où elle travaille. Elle dit voir au moins une adolescente enceinte chaque mois. Son projet portera sur la distribution de brochures et la mise en place d'un programme de formation des éducateurs à l'enseignement du planning familial.

La crise sanitaire maternelle en Papouasie-Nouvelle-Guinée ne peut être résolue par les sages-femmes seules. Mais entre le transport des femmes en travail dans des pirogues et la remise en question de normes culturelles ancestrales, elles militent pour l'amélioration de la santé maternelle et infantile. Avec l'aide du Rotary, les sages-femmes acquièrent des outils, une voix et une communauté. Elles luttent pour un avenir où aucune femme ne devra accoucher seule ou mourir de causes évitables. Mary Kililo Samor, conseillère technique au ministère de la Santé, qui s'est rendue sur place pour soutenir leur travail, déclare : « Nous n'y sommes pas encore parvenus. Mais nous y travaillons. »

Article tiré du numéro d’octobre 2025 du magazine Rotary.

Le Rotary étend l'accès à des soins de qualité pour les mères et les enfants à travers le monde.